La culture du silence
Depuis le mouvement #Me Too, nous assistons à une prise de conscience : « Il faut libérer la parole des victimes de violences sexuelles ».
Mais quelle est réellement la nature de cette prise de conscience ? Celle que la plupart des personnes qui ont subi des violences, et notamment des violences sexuelles, n’en parlent jamais.
Pourquoi ? C’est la question que nous nous posons aujourd’hui, et le récent procès des viols de Mazan nous apporte l’une des clés à cette question lorsque Gisèle Pelicot choisit de refuser le huis-clos des débats « pour que la honte change de camp ».
Alors, sur quoi se fonde cette culture du silence qui a si longtemps prévalu dans les affaires d’événements traumatiques ?
Posons-nous d’abord la question de quelles sont les situations concernées ?
Il s’agit particulièrement :
- des traumatismes de guerre
- des violences intrafamiliales
- des violences sexuelles
- de l’inceste
C’est en observant les soldats, rescapés de guerres, qu’a été mis en évidence pour la première fois le psychotraumatisme et toutes les conséquences de celui-ci. Et ce que l’on a constaté aussi, c’est que ces personnes, revenues de l’enfer des champs de batailles ou des camps, ne parlaient pas de ce qu’elles avaient vécu. Certes, le psychotraumatisme pouvait expliquer, en partie, la cause de ce silence, mais c’est bien plus tard que ces soldats ont pu expliquer que s’ils n’ont pas parlé, c’est parce que leur auditoire n’était pas prêt à entendre ce qu’ils avaient à dire,
- on ne les aurait pas cru,
- ou on aurait rejeté un récit aussi inimaginable.
Et il faut savoir que dans l’un ou l’autre de ces cas, cela équivaut, pour la victime à subir un second traumatisme. Elle se retrouve comme invisibilisée, niée, isolée de ses semblables. Alors ces traumatisés de guerre se sont tus, hantés par des souvenirs qui n’étaient pas partageables.
C’est ce que nous disent les victimes de violences sexuelles : « Ce n’est pas notre parole qui a besoin d’être libérée, c’est la capacité d’écoute et de prise en compte de notre auditoire ». Et nous le comprenons lorsque nous analysons les raisons qui les amènent à se taire :
A. Le sentiment, pour la victime, qu’elle ne va pas être crue
« Si je parle, personne ne me croira »
Les auteurs de violences sexuelles sont souvent perçus comme des citoyens tout à fait honorables par leur entourage, ce qui provoque facilement de l’incrédulité.
B. La honte et la culpabilité
« Pourquoi est-ce que ça m’est arrivé à moi ? »
« Ai-je fait quelque chose pour provoquer cela ? »
Les auteurs de violences transmettent ce sentiment à leurs victimes en les insultant, les dévalorisant et inversant la culpabilité.
C. Protéger
l’auteur
La culture du silence s’appuie sur l’idée reçue que raconter la réalité, c’est trahir. Très vite déjà, les enfants apprennent qu’il ne faut pas dénoncer son camarade. Pression du groupe classe lorsque le professeur veut savoir qui a jeté une boulette de papier sur lui alors qu’il tournait le dos, pression des éducateurs (parents, professeurs, …) qui enseignent aux enfants, souvent à juste titre, de s’occuper de leurs propres affaires au lieu de celles de leurs frères, sœurs ou camarades, mais qui oublient d’y mettre une limite, celle de la protection lorsqu’une personne est en danger.
L’histoire des collaborateurs durant l’occupation a aussi jeté l’opprobre sur ceux qui ont dénoncés leurs voisins, les envoyant ainsi vers une mort certaine ; mais nous oublions qu’alors, ces dénonciations étaient motivées par la haine, la peur ou simplement la bêtise. Dans les cas de maltraitances et de violences, nous sommes face à des infractions pénales, des crimes ou des délits. Se taire, c’est permettre que ces agissements se poursuivent.
le groupe
Nous l’avons souvent constaté, la révélation d’une violence fait éclater la cohésion supposée du groupe. Tel l’inceste au sein d’une famille, où tout le monde sait mais se tait, et qui se poursuit parfois sur plusieurs générations, ravageant au passage des vies entières.
La première personne à sortir du silence porte l’accusation d’avoir détruit la famille.
S’il est bien entendu que ce n’est pas le cas, et que cette personne est en réalité la première qui vient ouvrir une brèche vers le salut des générations à venir et la restauration de vies brisées, il n’en demeure pas moins qu’elle aura à subir le rejet du groupe. Si nous nous trouvons sur son chemin, saurons-nous la soutenir ?
Les raisons qui entretiennent la culture du silence sont nombreuses, celle que nous venons d’énumérer n’en sont qu’un échantillon.
Aujourd’hui, les victimes commencent à parler …
dans nos Églises, sommes-nous prêts à recevoir leur parole, à les protéger et à les soutenir ?
Myriam LETZEL
Coordinatrice du service Stop abus
Procès des viols de Mazan : quelles leçons pour les chrétiens ?
Durant près de 10 ans, Gisèle Pélicot a été victime de nombreux viols de la part de plus de 70...
Communiqué FNAFP – 25 novembre 2024
Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmesTous concernés, tous...
Comment accompagner des personnes victimes de violences sexuelles ?
André Letzel, sexologue, membre de la Commission de conseil et de suivi du service Stop abusCes...
La prise de conscience d'une personne victime
Comment se dire que l’on est victime ? Victime de la personne qu’on a aimé le plus au monde...
Les obligations de signalement
Signaler, c’est informer, par écrit ou oralement, les autorités policières ou judiciaires de...
Violences conjugales : Et dans nos Églises ?
Les violences conjugales ne s’arrêtent pas aux portes de nos Églises protestantes évangéliques....